Bonjour, je m’appelle Christine Bellocq. Je suis la fondatrice et directrice de l’entreprise Trésya Couture. Je crée des vêtements sur mesure, en particulier des tailleurs, pour les « Executive Women ».

©Gaël Dupret/MaxPPP, France, Cormeilles en Parisis 30-03-2016 : Portrait de dirigeante Photo : Christine Bellocq - Trésya (Founder and CEO)

Photo : Christine Bellocq – Trésya (Founder and CEO)

A l’équivalent des tailleurs grande mesure pour hommes, je suis un tailleur grande mesure pour femme et non pas une couturière. Je fais du tailleur professionnel pour accompagner la carrière des femmes, leur donner la qualité « Executive Presence » c’est à dire montrer ses capacités au leadership.

Selon diverses études faites, 97% de la communication est non verbale, 55% de l’impression que l’on se fait d’une personne se fait dans les premières secondes. Une des premières choses que l’on voit de la personne c’est le vêtement. Certes il y a le regard, la voix, l’attitude, la posture… mais il est plus facile d’avoir une stature de leadership quand on est bien habillé. Un tailleur ça participe de cette posture On se tient mieux quand on est bien maquillé, bien chaussé, bien habillé… ça participe de l’image que l’on renvoi.  Quand on veut décrocher un contrat, un budget auprès de son PDG, il ne faut pas avoir l’air d’une petite souris. Il faut arriver avec l’image d’une personne capable de gérer un projet de bout en bout, capable de faire face à des situations de crises qu’on va forcément connaitre et le vêtement participe de cette attitude. C’est ça que je développe au travers de mes vêtements.

Grande mesure ?

La grande mesure ça vient de la qualification très ancienne des différents niveaux de couture que l’on faisait chez les tailleurs hommes qui ont longtemps eu le monopole des vêtements. La corporation des couturières a été créée en 1675 soit un siècle et demi après celle des tailleurs. Les femmes s’habillaient toutes seules ou avaient une couturière qui faisait partie de la domesticité quand elles étaient riches.

Voici les 3 niveaux de couture :

  1. La petite mesure est l’ensemble des retouches faites sur des vêtements standards. C’était les prémices du prêt-à-porter qui apparut au XXème siècle. La petite mesure ne s’emploie plus, c’est devenu la retouche.
  2. La demie mesure : on part de gabarits intermédiaires et que l’on met à la taille de la personne.
  3. La grande mesure est la création intégrale d’un vêtement unique pour chaque client. En termes de coupe, de choix de détails, de cols, de poches….

Chez les femmes, il n’y a pas la notion de tailleur mais de couturière, qui d’ailleurs n’avaient pas le droit, jusqu’à récemment, de faire les vestes. Cela restait le monopole des tailleurs. On parlait de vestes pour femmes. On n’emploie pas le terme de grande mesure mais de sur-mesure, comme si les femmes n’avaient pas le droit à de la grande mesure ou que l’on avait de la couture au rabais. C’est pour cela que j’impose le terme de grande mesure au féminin. Parce que je m’adresse au même type de cliente Femmes que les Hommes qui se font faire des costumes grande mesure. Je travaille uniquement pour les femmes. C’est un choix parce que je connais leurs besoins, je connais le secteur dans lequel elles évoluent et que je me sens légitime.

1,2,3… 26 mesures

Pour le travail, hormis la feuille Excel dans laquelle je reporte les mesures, je travaille manuellement. Je n’ai pas de scanner laser qui tourne autour de la personne pour dessiner la silhouette. D’abord par ce que cela ne sert que dans le prêt-à-porter et non pas dans la grande mesure et dans l’individualité, parce que ce n’est pas rentable et que cela n’a pas d’intérêts. La prise de mesure ne suffit pas en elle-même. Ainsi, pour faire un vêtement, je ne prends pas 3 mesures, tour de poitrine, tour de taille, tour de hanche, mais 26, en horizontal, en vertical et en écartement. Et même avec ces 26 mesures, il faut faire un gabarit toile du fait que nous ne sommes pas symétriques. Elles ne sont pas non plus suffisantes pour déterminer les emplacements des creux. C’est-à-dire que des personnes faites avec un même tour de poitrine et même hauteur de bassin, les pinces se positionneront à des endroits différents. Ainsi un même vêtement, pour qu’il ait la même allure, pour 2 personnes différentes, je placerai les pinces à des endroits différents.

Je garde le gabarit à plat pour une question d’espace, mais je pourrai les remplir de paille, les fermer au niveau de la tête et du bas du corps et j’aurai ainsi des mannequins à la taille exacte de mes clientes, comme on voyait autrefois dans les grandes maisons. Ces gabarits je les gardes, et quand ma cliente revient, je lui réessaie le gabarit. Si ses mesures n’ont pas évolué, je sais que je peux le réutiliser.

Après je fais un carton, sur lequel je reporte à plat toutes les mesures et tous les détails que j’ai détecté sur le volume. Sur la base de ce carton je peux faire tous les vêtements possibles : de la lingerie au manteau en passant par le tailleur, un pantalon, une jupe, une robe forme kimono, faire des manches tailleur ou des manches droites… Sur ce carton, va se rajouter toutes les aisances et toutes les formes de patron que l’on appelle de base : les découpes princesse, les pinces Dior, les découpes kimono, les différents types de cols, aplatis, arrondis, droits… Cela permet d’avoir un carton avec 5 patrons de base qui me permettent de décliner à l’infini toutes les formes possibles.

On se rends ainsi compte qu’un tailleur qui est plutôt minimaliste dans sa définition, offre des opportunités de création énorme. A contrario du tailleur prêt-à-porter, il permet de définir le style de chaque personne.

C’est 80 heures de temps de travail pour un tailleur vraiment abouti c’est-à-dire avec tous les détails d’un tailleur : une boutonnière passepoilée, des poches, un col tailleur… Sachant qu’un tailleur ça s’entoile, il faut renforcer les coutures au niveau des épaules, des emmanchures parce que cela doit résister à l’utilisation quotidienne.

1 tailleur = 3 pièces

Quand on fait un tailleur grande mesure on fait 3 pièces. La première en tissu est le tailleur du dessus. Il y a ensuite la doublure et enfin la parmenture ; il s’agit des revers faits dans le même tissu ou dans un tissu contrasté pour des effets d’esthétique mais qui sont les parties qui ne sont pas en doublure. Ces parmentures sont entoilées pour donner le tombé du devant, des bas de manche, des bas de jupe ou de pantalons.

Après on rassemble le tailleur du dessus et les parmentures puis au final on fixe la doublure à la main.

Robes de mariées

Je fais des robes de mariées bien que ce ne soit pas mon cœur de métier. Généralement je fais des robes de mariées pour des clientes que je connais, qui m’ont déjà acheté des tailleurs. A l’exception d’une fois ou j’ai fait une robe, type princesse en tulle blanc avec des plumes, des strass, elle était belle mais sans l’effet choucroute ni meringue ; mes créations sont des robes de mariées plutôt atypique parce que j’ai des clientes plus mûres qui ont envie de se faire plaisir. Par exemples, l’une était toute en dentelle rouge et noire, l’autre était jaune. En final ce sont des robes de mariées avec des coupes un peu particulières et très personnelles qui ne ressemblent en rien à ce que l’on voit en magasin.

Spécial cocktail

Je créée des robes ou tenues de cocktail. Je les fais essentiellement pour ma clientèle de cœur de métier de tailleur qui a des soirées cocktail mais aussi pour les personnes participant par exemple aux Galas de l’X où on porte encore des robes de cocktail et des gants longs. Je travaille avec une brodeuse qui fait de la broderie haute couture (broderie au crochet ou à l’aiguille) et qui travaille pour de grandes maisons comme Alexander McQueen ou autre. On fait des pièces qui permettent de se rajouter au tailleur de jour et qui en fait un tailleur cocktail. Nous faisons des pièces somptueuses qui vont venir se fixer avec des aimants néodyme sur le col tailleur pour le transformer.

Double moment d’émotion

Dans la création du tailleur j’aime particulièrement deux moments. Le premier est le moment où l’on définit le modèle que je vais lui faire (car c’est un travail en collaboration). Au moment où l’on a choisi le tissu, que le dessin est finalisé, Il y a un moment où je sais intimement que c’est ce tailleur là et ma cliente aussi. Un jour une cliente m’a dit « Je sais que l’on a fait le bon choix car vous avez les yeux qui pétillent ».

L’essayage final est un vrai moment d’émotion. Je le vis intensément mais par procuration : j’adore observer ma cliente se regarder dans le miroir et changer de posture. Même si elle est en collant et qu’elle n’a pas remis ses chaussures je la vois se redresser, se trouver belle et fière d’elle. Et là, oui, c’est un grand moment de bonheur. C’est aussi à ce moment-là que je sais que j’ai gagné, surtout quand elle a la larme à l’œil.

J’ai autant de plaisir à voir un tailleur porté par ma cliente qu’elle peut en avoir à le porter je suis très fière de mes tailleurs et de mes autres créations. Et heureusement car si je n’en étais pas fière alors je ne vois pas comment mes clientes pourraient l’être.

Comment devient-on créatrice de grande mesure ?

©Gaël Dupret/MaxPPP, France, Cormeilles en Parisis 30-03-2016 : Portrait de dirigeante Photo : Christine Bellocq - Trésya (Founder and CEO)

Christine Bellocq – Trésya (Founder and CEO)

Je ne suis pas couturière. Je suis artisan d’art. J’ai notamment la lettre du président de la chambre des métiers m’accordant la qualification du titre d’artisan d’art parce que je fais ce métier depuis plus de 6 ans et que j’excelle dans un domaine artistique qui est la couture.

Ce n’est cependant pas ma formation. A la base j’ai un BAC D Mathématique et sciences de la vie suivit d’un DEUG de science Biochimie et physiologie Cellulaire car dans ma famille on ne fait que des études scientifiques. D’ailleurs ce n’était pas passe ton bac d’abord, mais passe ton bac+5 d’abord et ensuite tu feras ce que tu souhaites. Étant une fille j’avais quand même le droit de faire Science de la Vie.

Mon premier acte de rébellion fut le choix de Sciences Po plutôt que l’X ou Mines. Quand j’ai annoncé mon choix, mes parents m’ont dit que j’allais me le financer car ils pensaient que je sortais du cadre et que ce n’était pas de vraies études. J’ai adoré Sciences Po. Ça a été dur et on bosse beaucoup mais c’est passionnant.  Diplôme de Science Po en poche j’ai fait le choix de sacrifier la réalisation de mes rêves. Je suis donc rentrée dans la finance d’entreprise plutôt que dans des cabinets type Deloitte ou Arthur Andersen. Plutôt que d’intégrer une nouvelle bulle, j’avais envie de me confronter à la réalité du monde. J’avais déjà été dans une bulle (famille, Sciences Po), et rentrer dans un cabinet cela aurait été encore le même univers, la même bulle.

Je suis donc allée dans une entreprise pour être au contact des gens. Ce qui ne fut pas une mince affaire.  Quand on sort de Science Po, on est en tailleur escarpin avec des phrases un peu sophistiquées et tu te rends compte que les gens ne te comprennent pas. J’ai gardé le tailleur escarpin mais, afin de me faire comprendre, j’ai simplifié ma manière de parler. J’ai appris à travailler avec des gens qui n’avaient pas le même âge, ni le même cursus scolaire, ce qui fut très formateur.

J’avais la chance d’avoir un bon profil et à part mon premier travail, je n’ai pas eu à chercher de nouvelles opportunités car on me chassait. Au bout de 12 ans plus ça allait, plus je changeais de métiers et un jour je n’ai pas réussi à me lever.

J’ai donc quitté mon emploi et j’ai créé ma société. Je ne l’ai pas fait comme il le fallait : je l’ai créé car j’avais envie de faire de la couture pour tout le monde. Je n’avais donc pas ciblé la clientèle, et ça n’a pas marché. Après quelques années, je me suis rendue à la chambre des métiers, où on m’a expliqué que je n’avais pas monté mon projet initial comme il fallait.

A ce moment-là il s’est dessiné une évidence : je devais m’adresser à des femmes comme moi. Celles qui avaient le même parcours et à qui j’allais offrir le petit plus que je m’offrais quand j’étais salariée : la création de mes tailleurs. Il y a eu un petit contretemps : je me suis cassé la jambe et suis resté alitée pendant 2 ans. Cela m’a permis de murir le projet, d’être au clair, de trouver les bons professionnels, les artisanes vraiment d’exception : ma couturière et ma brodeuse qui travaillent avec les techniques des maisons de haute couture.

Le projet Trésya est né en 2004, Trésya Couture a été créé en 2008 et Trésya en mars 2014 et enfin l’ouverture d’un showroom sur Paris dans les prochaines semaines.

Levée de fonds

Au départ j’avais prévu une vraie levée de fonds avec un tour de table et des actionnaires. Cependant quand j’ai fait appel à certains actionnaires ils m’ont dit qu’ils préféraient donner sans pour autant devenir actionnaire et ils m’ont suggéré l’idée d’utiliser une plateforme participative. J’ai choisi la plateforme MyAnnona car c’est la plateforme dédiée à l’entrepreneuriat féminin et parce que j’ai aimé l’image. Annona est la déesse romaine de l’abondance. Elle est représentée comme une femme sur un bateau. Et je trouvais que j’avais fait une belle traversée.

Depuis le 28 mars la plateforme est ouverte et les gens commencent à donner pour la levée de fonds et pour ouvrir un beau showroom à Paris au cœur du monde du sur mesure qui va avec ma clientèle et l’image que j’ai envie de donner.

Galerie Photo Portrait de Dirigeante de Christine Bellocq – Trésya

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