©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger Photo : Thierry Méranger, professeur de cinéma au lycée Rotrou, fondateur du Festival du Film de Dreux "Regards d'Ailleurs" et journaliste aux Cahiers du Cinéma. Thierry Méranger, film teacher at Rotrou high school, founder of the Dreux Film Festival "Regards d'Ailleurs" and journalist at Cahiers du Cinéma.

©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger

19 juin 2017 je vis Retour vers le Futur au volant de ma Clio…  on pourrait croire à un mauvais remake français mais c’est une rencontre du 7ème art qui se joue en un seul acte au lycée Rotrou de Dreux.  C’est avec beaucoup d’émotions que j’y retrouve Thierry Méranger. Devenu prof de cinéma, il fut mon prof de théâtre en première. Le lycée Rotrou à bien changé depuis 95, depuis que je l’ai quitté, bac en poche, il y a 22 ans…. Thierry, lui, n’a pas changé. Il a toujours cette petite étincelle dans les yeux et une énergie folle.

Bonjour, je suis Thierry Méranger, j’ai plusieurs cordes à mon arc et le cinéma en est le dénominateur commun.  Je suis enseignant de cinéma depuis que j’ai créé, il y a 15 ans, l’option cinéma au lycée Rotrou de Dreux. Je suis également enseignant à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en Master Pro Cinéma, ainsi que critique de cinéma depuis 13 ans pour les Cahiers du cinéma, l’une des revues de référence dans le domaine. Par ailleurs, je suis responsable de plusieurs manifestations cinématographiques, comme le Festival « Regards d’Ailleurs » de Dreux, que j’ai fondé il y a 15 ans, la programmation Ciné-Clic de Dreux aussi, ainsi que le festival « CAP sur le monde » de Blois et je participe au festival ciné de La Rochelle… J’ai 52 ans, suis marié et nous avons 4 enfants.

Comment devient-on prof de cinéma ?

©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger Photo : Thierry Méranger, professeur de cinéma au lycée Rotrou, fondateur du Festival du Film de Dreux "Regards d'Ailleurs" et journaliste aux Cahiers du Cinéma. Thierry Méranger, film teacher at Rotrou high school, founder of the Dreux Film Festival "Regards d'Ailleurs" and journalist at Cahiers du Cinéma.

©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger

Depuis ma jeunesse, je suis un passionné de cinéma. Cependant il y a 25 / 30 ans, devenir professeur de ciné c’était une utopie totale. J’ai donc choisi la littérature, ma seconde passion, pour travailler et vivre. En 2017 il n’y a toujours ni agrégation ni CAPES de cinéma… L’image avait toujours une place de choix dans mes cours de Français et souvent je faisais intervenir des créateurs contemporains. Ne pouvant travailler le cinéma, je me suis tourné vers le théâtre car il y a traditionnellement un lien entre le théâtre et la littérature, j’ai pu mettre en place un atelier théâtre et mettre en scène des spectacles.

« Lycéens au cinéma »

Un jour l’Éducation Nationale s’est ouverte au 7ème art mettant en place l’opération « Lycéens au cinéma » qui permet aux professeurs de faire participer chacune de leurs classes à 3 séances par an de films d’Art et Essais en salle. J’ai fait partie des premiers professeurs inscrits à ce dispositif… Je pense qu’il y a beaucoup à apporter au niveau de la formation des lycéens, pour leur permettre de développer leur esprit critique et le regard qu’ils peuvent poser sur le flux d’images qui les noie… Ainsi, quand on travaille le cinéma , on montre des extraits ou des films entiers et en même temps, on réalise des courts métrages. Ce lien qui se situe entre l’école du spectateur et la fabrication de l’œuvre d’art est un lien primordial pour faire prendre conscience aux jeunes que lorsque l’on crée, on a aussi besoin de savoir que d’autres ont créé avant nous et que nous devons nous servir de l’expérience des anciens, sans pour autant les copier.

« C’est la marge qui tient la page »

Un jour, Emmanuel Burdeau, un critique avec lequel j’ai travaillé et sympathisé, devient rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. 2 mois plus tard il m’a demandé d’écrire un texte qui lui a plu ainsi qu’à Jean-Michel Frodon, directeur de la rédaction à l’époque et sommité dans le milieu du cinéma. Aujourd’hui cela fait plus de 10 ans que je suis au comité de rédaction dont je suis le seul non-parisien. Cette marginalité fait que j’ai un regard un peu différent. Comme dit Godard : « C’est la marge qui tient la page » et je suis content d’être dans cette marge-là. Je pense qu’elle est fondamentale pour permettre la diversité et la variété et éviter la morosité d’un 7ème art uniforme et lissé.

Parmi tes élèves certain-e-s sont-ils devenus célèbres ?

A l’heure actuelle, nous avons quelques jeunes qui ont un brillant parcours dans de grandes écoles du cinéma, l’un a fait l’école Louis Lumière, l’une vient d’intégrer la FEMIS, d’autres ont participé à de gros projets. Certains sont dans la publicité, dans la production, dans l’architecture, dans la formation, dans l’accompagnement culturel, dans la distribution… Tous ne sont pas sur le tapis rouge, mais ce n’était pas forcément ce qu’ils recherchaient. Des anciens élèves commencent à avoir leur nom dans certains domaines, ils sont des décorateurs très connus dans le métier, ou des monteurs prisés. L’option cinéma a marqué leur vie, suffisamment pour que ça impacte leur choix professionnel et influe sur leur pratique professionnelle.

Golden Moustache Made in Rotrou

Vincent Tirel, élève de la première promotion de l’option cinéma, est une star de la jeunesse. Les gens qui sont attachés au cinéma traditionnel le connaissent moins, mais les jeunes le connaissent tous : il fait 4 millions de vues sur Youtube et il fait partie du groupe Golden Moustache. Quand je me promène dans la rue avec lui, des jeunes l’arrêtent pour lui demander des autographes. Ça montre aussi que le cinéma évolue : je ne dis pas que tout ce qui est sur Youtube est du cinéma, mais je dis que tout ce qui est sur Youtube n’est pas forcément éloigné du cinéma. (NDLR : Vincent Tirel est à l’affiche du Film Le Manoir qui sort en salle Le 21 juin 17.)

« Regards d’Ailleurs »

©Gaël Dupret, France, Dreux le 08-03-2017 : Regards d'Ailleurs - 15ème Festival du Film de Dreux / Regards d'Ailleurs - 15th Dreux Film Festival Thème du Festival : "Filmer la Corée" / Festival Theme: "Filming Korea" Photo : Thierry Méranger, délégué général et artistique de Regards d'Ailleurs et Président de Fenêtre sur Films. Thierry Méranger, general and artistic delegate of Regards d'Ailleurs and President of Fenêtre sur Films.

©Gaël Dupret, France, Dreux le
08-03-2017 : Regards d’Ailleurs – 15ème Festival du Film de Dreux

Le Festival du Film « Regard d’Ailleurs » est né il y a 15 ans. Il est la suite logique de la naissance de l’option cinéma au lycée Rotrou. On voulait que l’ouverture à cet art ne se limite pas aux lycéens. A l’époque j’avais un tout petit carnet d’adresses et surtout pas mal d’audace. Dreux avait la réputation d’être fermée, par ce festival nous voulions l’ouvrir chaque année sur un pays différent.
Le pays de la première édition fut le Portugal parce que je voulais inviter Pedro Costa. Un très grand créateur de films contemporains et sans doute l’un des cinéastes les plus exigeants qui soit, son cinéma est sublime mais assez complexe. C’était un pari risqué, mais Pedro Costa, nous a fait l’honneur de venir à la première édition.

Dès cette première édition, la ville de Dreux, les partenaires territoriaux, le département, Ciclic (NDLR : l’Agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique), le lycée Rotrou, tous nous ont soutenus. Depuis, le festival a grandi et d’une manifestation qui s’adressait d’abord aux scolaires, puis un peu plus tard aux profs, nous touchons aujourd’hui un public bien plus large.

Kim Seong-hun, le premier réalisateur sud-coréen a avoir signé une série chez Netflix, est venu à Dreux pour la 15ème édition du festival Regard d’Ailleurs cette année. Il était très fier de nous en parler quand il est venu, c’était pour lui un grand honneur et finalement, le fait d’être sélectionné par Netflix devient presque une palme !

La polémique Netflix par rapport au 70ème Festival de Cannes ?

Je suis très partagé. Le cinéma inventé par les frères Lumière c’est le spectacle, communautaire, dans le bon sens du terme, collectif.  Quand le cinéma se sera privé tout à fait de cette dimension, quand on regardera tous des films uniquement sur des smartphones, ou même sur nos écrans chez nous, je pense vraiment qu’une partie de la magie du cinéma aura disparu. Mais il faut peut-être que le cinéma tienne compte de l’évolution du temps. Le cinéma, aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, n’est plus seulement dans la salle de cinéma, il est aussi dans des expositions, dans des installations ainsi que sur internet…
De son temps, le grand Alfred Hitchcock avait été décrié et critiqué avec sa série « Alfred Hitchcock présente » parce qu’il faisait une espèce de divertissement pour le peuple pour la télévision… Cette guerre des formats ou des supports de diffusion a toujours existé, c’est peut-être une nouvelle forme de guerre.

De plus, je ne vois pas comment, on peut imposer à un film d’être distribué en salle. C’est le choix d’entrepreneurs privés qui décident d’acheter un film pour le distribuer, difficile dans ce genre de cas pour un producteur de s’engager sur la distribution de son film… Malgré tout il y a peut-être moyen de poser des gardes fous, pour que Netflix favorise une politique d’incitation sur des sorties en salle de ses films. Il va falloir que l’un ou l’autre lâche du lest.

Festival International, Vedettes Internationales…

Aujourd’hui il y a des films qui ne sortent directement qu’en DVD. Pour moi, une partie de notre travail c’est de transformer le cinéma en spectacle vivant. Si Ciné-Clic et si « Regards d’Ailleurs » fonctionnent à Dreux, c’est parce qu’on ne fait pas ou très peu de « séances sèches ». On invite des gens pour parler du film projeté. Ainsi on a eu un nombre incroyable de grands créateurs qui sont venus à Dreux.
On peut notamment citer Pedro Costa, le japonais Kore-eda Hirokazu, primé à Cannes, le plus grand documentaliste du monde, l’américain Frédéric Wiseman, Kim Seong-hun, l’invité d’honneur de la 15ème édition du festival, Raoul Coutard qui était peut-être le plus grand chef opérateur du cinéma français, celui de Godard et de Truffaut et qui a notamment filmé « A bout de souffle », Alain Cavalier, la suissesse Ursula Meier, Claude Miller qui est venue ici peu de temps avant sa mort, le belge Felix Van Groeningen qui à l’époque venait de faire « La Merditude des choses »… Hors de Dreux, j’ai même eu la chance de partager un repas avec Quentin Tarantino, qui est vraiment quelqu’un de très sympathique, et de rencontrer Claude Chabrol.

Il y a  2 personnes qui sont vraiment très haut dans mon Panthéon : c’est le grand scénariste Jean-Claude Carrière qui est un homme d’une humanité profonde, qui m’avait permis de rencontrer son ami Pierre Etaix, décédé depuis, et enfin quelqu’un dont je suis la carrière de près et avec qui, j’ai un petit peu travaillé, enfin très très modestement, c’est Michel Gondry, qui est pour moi un des meilleurs créateurs actuels à qui on doit notamment Eternal Sunshine of the Spotless Mind et des clips qui font partie des plus beaux clips de toute l’histoire de la vidéo musicale !

Maintenant je m’en veux car j’oublie des tas de gens incroyablement aimables au sens plein du terme qui sont venus ici pour partager quelques instants avec nous !

Ô Capitaine mon Capitaine ?

©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger Photo : Thierry Méranger, professeur de cinéma au lycée Rotrou, fondateur du Festival du Film de Dreux "Regards d'Ailleurs" et journaliste aux Cahiers du Cinéma. Thierry Méranger, film teacher at Rotrou high school, founder of the Dreux Film Festival "Regards d'Ailleurs" and journalist at Cahiers du Cinéma.

©Gaël Dupret, France, Dreux le 19-06-2017 : Thierry Méranger
Photo : Thierry Méranger, professeur de cinéma au lycée Rotrou, fondateur du Festival du Film de Dreux « Regards d’Ailleurs » et journaliste aux Cahiers du Cinéma.

[Rires] C’est vrai que l’on a tous besoin de se référer, on a tous des figures dans un panthéon. J’ai toujours en tête certains de mes enseignants qui ont fait de moi ce que je suis. J’ai peut-être marqué un certain nombre d’élèves, mais j’espère que je ne fais rien pour susciter ce type de réaction qui sacraliserait un petit peu trop les choses. L’idée ce serait plus d’être une personne ressource et, lorsqu’ils ont pris leur envol (NDLR : ses élèves) devenir plus des amis, des collaborateurs et travailler sur un pied d’égalité.

Ma reconnaissance, c’est quand on fait les 15 ans de l’option cinéma et qu’il y a plus de 200 élèves qui viennent et d’autres qui laissent un message pour s’excuser de leur absence…c’est le carburant pour les années à venir.

Le plus beau des combats

Tous les gros festivals, ont l’appui non seulement d’élèves mais aussi et surtout d’étudiants, or l’énorme problème actuellement à mon sens, c’est le manque d’enseignement supérieur, et en particulier dans le domaine de l’image et de la culture sur la ville de Dreux. Cela pourrait être un BTS, mais aussi, pourquoi pas la création d’une école supérieure du cinéma ou une classe préparatoire aux grandes écoles, avec option cinéma. C’est notre combat avec le soutien du lycée Rotrou et la Ville de Dreux.
Ce combat n’est pas perdu mais il est loin d’être gagné. Nos anciens élèves nous sont fidèles mais ils sont condamnés à l’exil, donc c’est beaucoup plus difficile pour eux de nous aider alors qu’ils sont à Paris, en Bourgogne, en Normandie voire à l’étranger… L’enjeu serait effectivement de permettre aux élèves de se former ici et de devenir des artistes et des artisans de qualité ! J’attends avec impatience le premier Oscar, César d’un ancien élève !

L’histoire sans fin ?

Aujourd’hui on est dans le quotidien et on se bat toujours pour faire exister l’année suivante. On ne sait pas dans l’école ou le lycée de demain, ce que va devenir l’enseignement des disciplines artistiques, on ne sait pas ce que va devenir la distribution cinématographique, ce que vont devenir les festivals…  Si demain les mécènes ne peuvent plus nous aider il n’y aura plus de « Regards d’Ailleurs »… Si demain les politiques décident d’investir sur autre chose ou de ne pas suivre la progression du festival qui grossit d’année en année…

J’espère qu’il n’y aura pas de fin car ma plus grande fierté serait que cette option cinéma, ce festival, ces projets que j’ai contribué à lancer, perdurent pour longtemps… même sans moi ! Donc il n’y aura pas de mot de fin, d’ailleurs tu remarqueras qu’on n’écrit plus The End à la fin des films…

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