Garde du Corps : un métier de parano à haut risque

©Gaël Dupret, France, Paris le 01-01-2017 : Portrait de dirigeant Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force. Philippe B. Bodyguard and founder of MMT Task Force.

©Gaël Dupret/MaxPPP
Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force.

RDV organisé par SMS, un prénom mais pas de nom. C’est un vendredi après-midi de février, quelque part dans Paris, que je retrouve Philippe B. Marié, père de 2 enfants, ancien militaire et gendarme, il est garde du corps et passe sa vie à protéger celle des autres lors de déplacements risqués à l’étranger. Philippe forme aussi des acteurs de cinéma avec un concept unique au monde.

Bonjour, je m’appelle Philippe B, je vais avoir 37 ans dans quelques jours. Mon métier c’est la protection rapprochée en France mais principalement à l’étranger. Mes missions sont situées essentiellement au Moyen-Orient. Elles consistent soit à préparer une zone pour accueillir en toute sécurité une autorité (NDLR : la personne à protéger), soit à l’accompagner sur zone.

Je travaille pour des chefs d’entreprise connus qui se déplacent dans des pays sensibles, des zones dangereuses. Leur notoriété crée le risque et développe l’exposition au danger face à des personnes envieuses. J’ai déjà travaillé pour des hommes politiques mais jamais pour des acteurs ou des peoples.

« C’est le terrain qui commande »

Une mission c’est forcément une équipe qui se crée pour l’autorité ou les autorités. La taille de l’équipe dépend de l’importance de l’autorité et du nombre de personnes qui l’accompagnent.

Lors d’un déplacement, on part en amont sur le terrain afin de vérifier les différents lieux (visites, rdv, lieux de vie, …), prendre contact avec le personnel de sécurité des personnes qui seront rencontrées durant le déplacement, … Cette imprégnation du lieu permet de faire un rapport précis dès l’arrivée de l’équipe et de l’autorité à la base de recueil.

Ce rapport doit-être le plus détaillé et le plus concis possible : les points sensibles, le nombre de personne qui seront présente à tel endroit, telle personne travaille avec telle personne, le nombre de personne qui travaille dans cette maison… Ce compte-rendu permet au chef d’équipe et à l’ensemble de l’équipe d’avoir la même vision du terrain afin d’être en confiance et de connaitre les points sensibles. Que ce soit en France ou à l’étranger, on peut avoir 2 /3 jours pour checker une zone, comme on peut n’avoir qu’1 ou 2h. La vie d’autorité dépend de ce repérage, du compte-rendu et des imprévus du terrain. Les militaires disent que c’est le terrain qui commande, rien n’est jamais figé. A tout instant on doit s’adapter sur la situation, le moment donné. Notre maitre mot : « On s’adapte, on domine »

Comment ça se passe quand tu gardes une personne ?

Bien ! Ça se passe toujours bien ! [rires]

©Gaël Dupret, France, Paris le 01-01-2017 : Portrait de dirigeant Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force. Philippe B. Bodyguard and founder of MMT Task Force.

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Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force.

Il faut bien comprendre que les personnes que je protège ne prennent pas un garde du corps parce que ça fait bien : il y a une réelle menace de mort qui plane sur eux. Entre le garde du corps et le client un lien, une relation se crée. Je pense notamment à l’épouse de l’un de mes clients qui me disait que je voyais plus son mari qu’elle. Mon client, je connais son travail, ses à-côtés, avec ou sans son conjoint, les personnes avec qui il est en business, ses amis, ceux qu’il n’aime pas… On est tout le temps présent, on voit tout, sans être vu, on entend tout en toute discrétion.

Au début « on dresse » le client. On lui donne les codes d’alertes avec lesquels on a l’habitude de travailler, c’est un geste, un mot, un regard qui alerte le client. Dans une situation à risque où des éléments extérieurs t’amène à estimer que la situation peut déraper ou être source de danger, à ce moment, je prends le pas sur mon client : faire prendre un itinéraire bis au chauffeur, faire changer de trottoir… c’est l’exfiltrer de la zone. On transmet l’ordre à son autorité et on s’adapte.

Comment vit-on le fait qu’à tout instant on peut mourir pour quelqu’un d’autre ?

Cette question on me la pose très souvent…. [silence] mais j’y pense pas, c’est mon job.
Prendre une balle a la place de son client c’est le risque du métier. Si cela arrive c’est que l’on a été mauvais. Soit pour ne pas avoir compris la menace en amont, soit parce que la menace est très bonne et qu’elle a très bien travaillé son sujet. Maintenant que je travaille dans le civil, je choisis mes missions et donc mes clients. Certes il est important de gagner sa vie, mais pour moi il est primordial que je sois totalement en phase avec la personne que je protège. Au moment décisif tu n’auras pas de doute, pas d’hésitation. Sur le terrain c’est déjà arrivé que qu’un véhicule se fasse arroser (NDLR : le fait de se faire tirer en continu sur un véhicule) et qu’un camarade soit blessé, tu agis, réagis pour la vie de ton autorité en pensant à ton blessé. Sur le moment tu es dans l’action et tu es formé pour ça. C’est seulement au débriefing dans la base de recueil, ta zone neutre, que tu prends vraiment conscience du danger que tu viens d’essuyer. Pour l’instant je n’ai pas pris de balle et je touche du bois ! C’est que le boulot est bien fait.

Mon arme, ma femme et mes enfants.

Mon arme « je l’ai H24 ». Ma femme a appris à vivre avec et je l’emmène souvent à l’entrainement de tir. Mon entourage sait pourquoi je travaille mais je ne suis pas un cowboy à exhiber mon arme. Mes enfants ont 8 et 3 ans. Je leur ai expliqué mon métier : je protège les gentils contre les méchants. Quand je pars en mission je leur manque et ils ne sont pas toujours cool avec leur mère !
Ce sont des enfants avec leur âme et leurs rêves d’enfants, il faut les laisser rêver, mais je les sensibilise au monde actuel, et aux dangers qui sont susceptibles d’arriver. Nous avons des années noires qui arrivent et il est important que nous y soyons préparés. Pour mes enfants, je leur explique par exemple Daesh, les attentats, le fanatisme, mais avec des mots de leurs âges et bien sûr sans rentrer dans l’atrocité de ce qu’ils nous font subir. Le monde de OUI-OUI c’est dans les livres… Ma femme et moi sommes catégoriques : aucune arme en jouet, même pas un pistolet à fléchette à la maison. Une arme ce n’est pas un jouet, c’est fait pour tuer.

Pourquoi es-tu garde du corps ?

J’aime la protection rapprochée et c’est la suite logique de mon parcours professionnel.  J’ai fait 2 ans dans l’armée de terre et je suis rentré en gendarmerie dans la garde républicaine. Puis je me suis spécialisé dans une unité avec laquelle je partais en mission pour accompagner ou sécuriser des autorités en ambassade dans des pays dangereux. Il y a un peu plus de 4 ans j’ai quitté la gendarmerie pour travailler un an ½ pour un avocat sensible en France. Cette rencontre m’a permis de développer mon réseau. Aujourd’hui je travaille pour plusieurs entités (personnes physiques et morales) ainsi qu’une société militaire privée et des personnes au Moyen-Orient.

Comment devient-on garde du corps ?

Tu as une formation d’un mois qui te donne ta carte officielle de garde du corps… mais ne deviens pas garde du corps qui veut ! Sur le terrain j’ai rencontré beaucoup de personnes qui ne sont pas opérationnelles, non pas par mauvaise volonté mais parce qu’elles n’ont pas eu la chance comme moi de pouvoir apprendre et me préparer (NDLR : apprentissage et préparation via son engagement sous les drapeaux).

Pour devenir garde du corps il faut une grosse préparation physique et mentale. Pour maîtriser un adversaire qui en veut à ton autorité, tu dois maîtriser les sports de combats mais aussi les armes. Tu dois t’entraîner sur le fait de dormir peu et travailler beaucoup sur une période donnée. Il faut aussi s’imprégner du monde de la protection, par exemple s’habituer à avoir 3 itinéraires différents pour aller du point A au point B.

Les qualités d’un bon garde du corps : Savoir être et savoir faire.

©Gaël Dupret, France, Paris le 01-01-2017 : Portrait de dirigeant Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force. Philippe B. Bodyguard and founder of MMT Task Force.

©Gaël Dupret/MaxPPP
Photo : Philippe B. Garde du corps et fondateur de MMT Task Force.

Être un bon garde du corps c’est avant tout être parano ! Tout est source de danger. Je m’interroge sur ce que je vois. Je me demande si la situation est normale, pourquoi cette voiture est là aujourd’hui et qu’elle était déjà là hier ou au contraire qu’elle n’était pas là hier… Pourquoi ces hommes qui fument me regardent, ou pourquoi ils ne me regardent pas, pourquoi je ne vois pas leur mains… Être garde du corps est un métier fatiguant : on est constamment sur le qui-vive, on analyse et anticipe chaque instant. C’est penser à la place des méchants : si je veux tuer mon autorité, comment je m’y prends ?!
En tant que garde du corps on crée un lien avec son autorité. On fait « partie de la famille », cependant on doit être là sans être vu. Il faut savoir rester à sa place mais être ferme et juste quand on prend le pas sur son client. Il faut être courtois, et le plus honnête et le plus intègre possible avec son client. C’est ce lien qui lui donnera la confiance aveugle en toi dans les moments les plus périlleux.
Il faut aussi se remettre constamment en question. Je passe 1/3 de mon temps à m’entraîner et à me préparer. D’ailleurs, je me suis rendu compte que la manière dont je m’entraîne a séduit beaucoup de personnes qui font le même métier ou qui sont militaires. Maintenant, quand je ne suis pas en mission ou que je ne travaille pas pour une autorité et que je suis en France, je prépare des gens pour des tests d’unités spécialisées, ou des personnes qui sont déjà policiers, gendarmes ou militaires à devenir meilleur en sport, en sport de combats, et au maniement des armes.

#JeVeuxUnGardeDuCorps ?

On est dans une activité où la discrétion est primordiale. Je n’ai pas de boutique, de bureau ou de site internet pour trouver des clients. Notre milieu est tout petit et ça fonctionne beaucoup au bouche-à-oreille. Quand une personne est contente de tes services, elle parle de toi à son entourage. On travaille sur la confiance et la recommandation.

The Bodyguard Fake ou réalité ?

[Rires] J’aime bien Whitney Houston mais c’est romancé pour le cinéma, comme pour le Titanic. Par contre, il y a un autre film qui est mieux que The Bodyguard c’est Man on Fire, avec Denzel Washington. Ce film me ressemble un peu plus, le passé de Denzel Washington dans le film est assez ressemblant à la plupart des vies de gardes du corps, anciens militaires, policiers ou gendarmes, des mecs qui viennent d’unités spécialisées et qui malheureusement bien souvent comme beaucoup dans notre milieu, ont divorcé, se retrouvent à être tout seul et ont ce métier comme passion. J’aime bien son rôle : protéger une petite fille qui risque de se faire enlever dans un pays ou les enlèvements sont très fréquents. Quand il prépare les missions, qu’il se déplace, les plaques d’immatriculations qu’il relève, les gestuelles, les codes qu’il met en place avec la petite fille se rapprochent vraiment de la réalité, et j’invite les gens à voir ce film qui est vraiment bien.

Un autre très bon film et qui me rappelle quand je bossais pour l’armée, c’est 13 heures / Thirteen Hours, une histoire vraie sur la protection d’un ambassadeur, ils doivent protéger un lieu et une personne, forcément ça tourne mal et c’est un super film !

Formateur pour le Cinéma

J’ai toujours été fasciné par le monde du cinéma. Mes parents étaient contre la télé, mais ils nous offraient le cinéma assez souvent et quand j’y allais c’était LA sortie. Par contre j’ai trop vu de films ou de séries où le maniement des armes et les progressions sont catastrophiques et absolument pas réalistes. Je repère toujours ces détails, c’est peut-être mon côté professionnel et j’aime les choses justes comme chacun dans son domaine. J’aime quand un acteur va s’imprégner d’un rôle de militaire, de garde du corps par exemple. J’ai créé une unité mobile de formation pour former des acteurs au maniement des armes et à savoir évoluer dans une progression.

Comment ça se passe ?

J’avais un rêve de gamin : avoir un pick-up. Quand je l’ai eu, je l’ai optimisé pour en faire un concept de salle de sport extérieure. Tu y trouves tous les services d’une salle de sport traditionnelle. La différence est qu’elle se déplie comme un couteau suisse et ça te fait une salle de sport externe. J’ai notamment formé un acteur qui est dans une série sur Canal+ et un autre sur TF1. Mais je vous en parlerai une prochaine fois !

Le mot de la fin ?

Prenez tous soin de vos familles ! « En cas de doute : pas de doute » c’est-à-dire que lorsque l’on a un doute sur quelque chose, que l’on doit se rendre à un endroit et qu’il y a la tête de quelqu’un, une voiture ou un comportement qui ne vous reviens pas, faites un détour, changez votre route, vous arriverez peut-être 2 minutes plus tard mais cela vous sauvera peut-être la vie.