Bonjour, je m’appelle Geneviève Bouché, je suis économiste, futurologue et ingénieur dans le domaine des Télécoms. J’ai un cabinet de conseils qui fait du management de l’innovation : il aide les investisseurs et les start-ups à investir en prenant directement les orientations qui préparent le futur. J’ai décidé de redonner vie au métier de futurologue parce que j’estime que nous traversons une période très mouvante où les futurologues pourraient aider par leurs savoirs faire.

Futurologue c’est quoi ?

genevieve-boucheUn futurologue c’est une personne qui essaie de comprendre le sens de l’histoire en s’intéressant au passé très récent et très lointain. Elle essaie de comprendre le sens de l’histoire afin de déterminer à quoi ressemblera le futur…
Par exemple le Brexit qui vient d’avoir lieu la semaine dernière, c’est un évènement fort, mais quand on regarde le sens de l’histoire, toutes les conséquences qui vont en découler aurait dû, de toute façon avoir lieu, et étaient prévisibles. C’est un exemple typique de ce que savent faire les futurologues.

J’ai appris la futurologie en côtoyant les commissaires au plan de l’équipe de Charles de Gaulle, qui étaient encore en fonction à la fin des années 70, et j’ai soutenu ma thèse avec 2 d’entre eux (dont Simon Nora). Un de nos chargés de TD a également fait parler de lui : Jacques Attali. Ces gens avaient des méthodes de travail, des visions et surtout une éthique que je trouve extrêmement intéressante à mettre à disposition de tous les gens qui ont envie de réfléchir et ensuite d’agir dans un changement. Pas seulement sur le plan de l’environnement écologique mais sur le plan de l’environnement social et sur le plan économique parce que ces 3 environnements sont interdépendants.

Aujourd’hui mon cabinet fait du management de l’innovation pour les investisseurs qui veulent orienter leur portefeuille d’investissement en s’installant dans le sens de l’histoire parce qu’ils investissent à 5 ou 10 ans et même beaucoup plus loin. Les start-ups sont pensées pour le monde de dans 20ans. Dans les bibliothèques on pense à 30 ou 40 ans et même au-delà. Je mets également mon savoir-faire à disposition de partis politique, d’ONG, de Think tank, etc.

La politique ?

Pour la présidentielle de 2012, j’ai réalisé une publication qui s’appelait « Mieux que la réindustrialisation » et je l’ai adressée à tous les candidats. Cette publication qui était en créative commons a été téléchargée plus de 2700 fois. Je me suis rendue compte que ce que j’y disais avait finalement été entendu, comme les feuilles de thé dans l’eau : ça avait infusé.

Pour cette présidentielle-là, à priori, je vais faire la même chose mais dans l’autre sens : je ne vais pas m’adresser aux candidats, mais aux électeurs. J’ai envie de leur dire d’arrêter de détester la classe politique. Il me semble plus constructif de formuler des demandes, d’accompagner les élus jusqu’à la réalisation, mais également de tirer ensemble les leçons des échecs pour les prochaines tentatives.

Combien de futurologues en France ?

On m’a dit un jour que nous étions 4. Je n’en connais qu’un. Si nous sommes aussi peu en France, c’est parce que notre métier est vraiment peu connu. Quand on m’a donné mon diplôme, on m’a quand même dit qu’il y avait peu de chance que je puisse gagner ma vie avec…

C’est vrai que dans mes premiers jobs, je m’en suis servi sans m’en rendre compte et dans tous les cas de façon non-officielle. C’est en avançant en âge, en voyant qu’on s’enfonçait dans ce que l’on a appelé improprement « la crise », qui n’est pas une crise mais un changement de civilisation,  que j’ai commencé à prendre conscience que ce que je savais faire pouvais beaucoup apporter. Je m’implique dans une structure qui a maintenant 4 ans : La Société Française de Prospective où l’on est 2 futurologues Thierry Gaudin et moi. Sinon tous les autres membres (une quarantaine) sont des prospectivistes.

La différence entre la prospective et la futurologie ?

genevieve-bouche-avec-mickey-mouseLa prospective c’est pour 3 ans, 10 ans ; les prospectivistes travaillent sur des mécanismes de différentes scénarios : extrêmes (« Tout le monde aime mon produit » / « Personne n’aime mon produit »), probables, souhaitables. On peut ensuite dire quelle est la stratégie qu’il faut avoir aujourd’hui pour aller vers l’accomplissement du scénario que l’on souhaite voir se réaliser.

La futurologie, va plutôt s’attacher aux évènements passés et à leurs incidences aujourd’hui. Le futurologue dit « oui étant donné que là on a fait des coups foireux, cacher la poussière sous le tapis,… on sait, de façon certaine, que ça va remonter à la surface… »
Le Brexit, c’est l’Angleterre qui a au moins 3 identités d’attache fortes mais qui ne sont pas compatibles. Total, à tout vouloir ils se retrouvent avec rien. Et ça va être compliqué pour eux et pour les problèmes qu’ils créent aux autres, ça c’est typiquement un travail de futurologue.

Est-ce que Tchernobyl, dont on vient de fêter les 30 ans, peut rentrer dans le cadre d’un job de Futurologue ?

Le principe de la futurologie c’est de s’affranchir de ce que l’on appelle « la petite histoire » c’est-à-dire qu’en fait, dans le cosmos, tout change sans arrêt et ce qui doit arriver, arrive. Cela peut se faire soit à travers des processus lents que l’on arrive à dessiner quand justement on s’intéresse au temps long soit avec des évènements brutaux difficilement prévisibles mais qui finalement devaient arriver.

Tchernobyl c’était, malheureusement, dans le champ du possible. Il se trouve que c’est arrivé comme ça, du coup la déclinaison immédiate va avoir des effets spécifiques. Je ne sais pas si un futurologue aurait pu le prévoir précisément, mais cet évènement et ses conséquences nous ont permis d’apprendre beaucoup, non pas sur les aspects techniques d’une centrale, mais sur la gestion d’une crise et de l’impact que cela a pu avoir sur chacun à différents degré et à différentes temporalités.

De par notre développement, nous sommes devenus énergivores, et donc la piste du nucléaire a beaucoup séduit même si on savait que c’était très dangereux.  Pour l’anecdote, un des hommes qui travaillait avec Marie Curie, était fasciné par cette pierre fluorescente. Il la mettait même dans sa chemise pour la présenter lors de soirées ! Comme pour beaucoup d’innovations et de découvertes, on trouve souvent au début que c’est magnifique, révolutionnaire, etc. Et avec le temps et un approfondissement de nos connaissances on se rend compte parfois des dangers terribles que nous ne soupçonnions pas ou de nouvelles utilisations possibles dans des domaines tout autre que celui au départ.

Ce n’est pas l’histoire de l’énergie nucléaire qui m’intéresse, c’est plutôt toute l’histoire de la maitrise de l’énergie qui me semble intéressante.

Si on regarde attentivement ce qui se passe dans ce domaine, on s’aperçoit que l’on revient à des choses beaucoup moins spectaculaires, et en même temps, beaucoup plus proche de ce que la nature fait, depuis toujours. C’est-à-dire qu’on admet qu’un corps vivant est à la fois producteur et consommateur d’un certain nombre de chose et donc l’homme organise la production et la consommation. Ça c’est tout à fait fascinant. Sans vouloir raconter mon dernier livre « changeons de civilisation » mais ce mécanisme-là est en train de s’opérer dans tout ce qui concerne l’information d’une façon tout à fait symétrique.

Or l’information pour l’homme c’est excessivement important, Manger boire et dormir ce n’est pas suffisant, il lui faut de l’information. Il devient à la fois producteur et consommateur d’information, comme pour l’énergie. On est en train de basculer de la loi du plus fort à celle du plus adaptable.
Et c’est là que notre civilisation est en train de faire un changement phénoménal parce qu’on change vraiment le disque dur. Le système de base est en train de basculer. Et ce qui est extraordinaire, c’est que ce changement de civilisation n’est pas porté par un pays ou une classe sociale qui devient dominante mais il est porté par les générations Y et toutes celles qui sont derrière et qui le font avec une force absolument magnifique parce qu’elles ont peur que la planète périclite.

Que peut-on dire sur ce grand changement ?

Ce qui est très anxiogène, là je vous livre mon point de vue de futurologue, c’est que quand on décortique la caractéristique du changement de civilisation qu’on est en train de vivre par rapport à d’autres changement de civilisations de références comme par exemple la chute de Rome, la révolution de 1789, la guerre de sécession aux Etats Unis, là c’est un changement de civilisation d’une amplitude comparable à ce que nos ancêtres ont connu quand ils se sont sédentarisés. Ils ont également inventés ces 2 concepts avec lesquels nous sommes toujours empêtrés : la propriété et le produit de la propriété, la rente.

C’est un changement de civilisation excessivement complexe et profond qui s’annonce. Mais le problème, c’est que nous n’avons pas le même délai que nos ainés. Ils se sont sédentarisés étapes par étapes, zone géographique par zone géographique et sur plusieurs milliers d’années. Nous, nous sommes quand même très bousculés par les problèmes climatiques, démographiques, économiques, etc.  Les études prédisent une population mondiale à 9 milliards en 2050, la planète n’est pas faite pour supporter autant, à 7 milliards elle est déjà à la peine.

Le mot de la fin ?

Les hommes sont maîtres de leur destin, ils peuvent faire des choses effroyables comme des choses extraordinaires. Mais dans tous les cas, faire le travail de réflexion sur notre avenir souhaitable, qui ne sera que la résultante du sens de l’histoire et de la suite que nous voulons lui donner, est indispensable. Le savoir-faire des futurologues est encore présent en France, il faut le faire connaitre. Que les gens se l’approprient et fassent des merveilles avec.

Pour en savoir plus :
Lire en ligne l’édition du livre « Mieux que la réindustrialisation »
Le site de la Société Française de Prospective